1856
Le contexte de la construction des Docks
En 1856, lorsque la décision de construire de grands docks dans le quartier de la Joliette est prise, Marseille est en pleine transformation. La ville traverse en effet une phase de développement économique majeure et la calanque du Lacydon, le port historique que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de « Vieux port », peine à accueillir les navires en provenance du monde entier. La municipalité prend alors la décision de créer un nouveau bassin portuaire, au Nord de la ville, à proximité de la cathédrale. Le bassin de la Joliette, tel est son nom, ouvre à la navigation en 1853. D’une superficie de 20 hectares, il marque le début des travaux de création du nouveau port de commerce, se traduisant par la construction, jusqu’aux années 1970, de plusieurs bassins bordés de quais.
Soutenus par l’Etat qui en contrôle la bonne exécution, ces travaux entrainent de nombreux changements dans le paysage urbain, à commencer par la création de toutes les infrastructures nécessaires au transit des marchandises. Parmi elles, la création de lieux de stockage devient une priorité. Afin d’en faire bâtir, en octobre 1856, l’Etat cède à la ville un terrain de plus de 10 hectares (en partie gagné sur la mer), où se situait notamment le lazaret de la ville (fermé en 1849). Afin d’effectuer les travaux nécessaires, la municipalité se tourne vers un entrepreneur privé, Paulin Talabot, directeur, entre autres, de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM). Ce dernier accepte de faire construire aux frais d’une compagnie dédiée, spécialement créée à cette intention (la Compagnie des Docks et Entrepôts), de grands docks à la Joliette, moyennant la signature d’un bail de 99 ans. Avec eux, Marseille achève de se transformer en un port moderne.
1858-1864
L’édification des bâtiments
Les docks de la Joliette sont construits entre 1858 et 1864 sur le modèle des docks de Londres, par l’architecte Gustave Desplaces. Ce dernier s’est notamment illustré par le passé en dressant les plans de la gare Saint-Charles (1848).
Lors de leur inauguration, avec leurs 80 000 m², les docks se présentent comme le plus grand ensemble de docks d’Europe. Ils se distinguent également par le coût de leur construction, qui est parmi les plus chères du Second Empire à Marseille, derrière la cathédrale Sainte-Marie-Majeure dite la Major et l’hôtel de la préfecture.
Composés de cinq bâtiments, hauts de 30 mètres, les docks comptent six étages. Le premier bâtiment, tout en brique rouge et pierre blanche, donne sur la place de la Joliette. Il contraste fortement avec les autres par son style Louis XIII, son balcon à balustres, et son fronton indiquant « Hôtel de Direction ». Il est conçu pour abriter des bureaux et plus particulièrement ceux de la compagnie qui gère les docks, d’où son nom. Les quatre bâtiments suivants, à l’architecture plus sobre, plus industrielle, abritent des entrepôts dotés de murs épais, destinés au stockage des marchandises (jusqu’à 150 000 tonnes peuvent y être stockées). Ils se caractérisent par leurs cours intérieures, ouvrant du côté Ouest sur des portes cochères donnant sur les quais et permettant l’accès aux charrettes puis plus tard aux camions, et du côté Est sur des portails donnant accès aux voies ferrées reliées à la gare Saint Charles. Cette organisation permet ainsi de faciliter le transit des marchandises acheminées par bateaux vers l’intérieur du pays et inversement. A cet effet, les docks sont également aménagés pour regrouper tous les moyens nécessaires à l’importation et à l’exportation de marchandises : bureau des douanes, compagnies d’import-export, matériel de manutention, poste de gardiennage…
Chaque bâtiment dispose d’ascenseurs hydrauliques. Soulignons que ce type d’équipement est alors une première à Marseille. Les docks sont ainsi conçus de façon moderne pour leur époque. Autre nouveauté, afin de prévenir tout risque d’incendie, le bois est totalement absent de la structure. Celle-ci est réalisée exclusivement en pierres, en briques et en métal. Des poteaux de fonte soutiennent par exemple les voûtes.
Lorsqu’il a dessiné les plans des bâtiments, l’architecte a fait le choix de se référer à la nature. Les docks sont ainsi longs de 365 mètres comme le nombre de jours par an, comptent 52 portes comme le nombre de semaines par an, 7 étages comme les jours de la semaine et 4 cours intérieures comme les saisons.
1864-1988
Une aire de stockage pour les marchandises
Dès le début de leur exploitation comme entrepôts, les docks peuvent être comparés à une ruche tant l’activité y est constante et importante. Des milliers de manutentionnaires y travaillent de jour comme de nuit. Ils déchargent et chargent les bateaux remplis des marchandises provenant du monde entier.
Les docks vont évoluer avec leur temps, suivant le rythme du port et de ses nouveaux usages. C’est ainsi que des chambres réfrigérées y sont installées au début du 20e siècle pour permettre le stockage des produits frais.
La Seconde Guerre Mondiale va donner un coup sévère aux entrepôts du port, un coup dont les docks se relèveront difficilement. Tout commence au cours de la guerre, lorsque le commerce maritime chute et que les lieux de stockage voient leur activité baisser. A fin du conflit, les bombardements alliés sur la ville mettent complètement hors service le port : les grues et les quais sont en grande partie inutilisables, près de 200 bateaux coulés gisent dans les bassins et les obstruent, les voies ferrées sont coupées, nombre de routes et de ponts ont été détruits rendant impossible les échanges avec l’extérieur…
A la Libération, de nombreux chantiers de reconstruction des infrastructures sont lancés afin de redonner au port, les moyens de redémarrer. Il faudra néanmoins attendre 1950 pour que le trafic atteigne à nouveau le niveau qu’il avait avant-guerre.
En attendant, les docks ont fortement pâtis de la situation. En 1947, la Compagnie des Docks et Entrepôts est rachetée par l’Etat et son exploitation confiée à la Chambre de Commerce de Marseille. Sept ans plus tard, la compagnie fusionne avec la société des Entrepôts et Magasins généraux de Paris (EMGP). Les docks commencent alors à se spécialiser dans le stockage de certaines marchandises, tel que le papier, afin de se distinguer des autres lieux de stockage disponibles dans la ville.
Malgré ce nouvel élan, de nouveaux éléments, fruits du progrès mais également de l’évolution de la société vont venir mettre à mal le fonctionnement des entrepôts : la concurrence de l’avion, la décolonisation qui entraine la perte de nombreux marchés pour les négociants français, la délocalisation des grandes entreprises importatrices et l’arrivée des containers affectent fortement leur activité. En 1988, la décision est prise : les docks de la Joliette ferment leurs portes.
1992
Quand les anciens entrepôts se transforment en bureaux
Abandonnés un temps, les bâtiments des docks de la Joliette ne vont pas pour autant disparaitre : leur histoire va continuer de s’écrire. En 1991, une nouvelle vocation leur est trouvée par la SARI ; une société alors dirigée par Christian Pellerin, promoteur de très nombreux grands projets immobiliers en région parisienne, notamment sur le site de la Défense. Précurseurs de la transformation du quartier, les docks vont être rénovés en vue d’accueillir des bureaux.
L’architecte Éric Castaldi est choisi pour exécuter les travaux suivant un cahier des charges respectueux de la structure et des matériaux originels. Les cours intérieures et les voûtes en brique sont conservées. La nouveauté provient du percement d’une grande rue centrale au rez-de-chaussée permettant notamment l'accès des docks depuis la place de la Joliette, de l’élargissement des fenêtres et du remplacement d’une partie des toits par des verrières créant ainsi différents « atriums » dans le bâtiment.
Les travaux sont exécutés par tranche (10 000m² après 10 000m²). Ils s’achèvent en 2001. En totalité, l’opération a couté près de 75 millions d’Euros.
Le projet est un succès : de nombreuses entreprises s’installent dans les locaux rénovés et les docks deviennent un véritable centre d’affaires. Au rez-de-chaussée, une ébauche de centre commercial commence à se dessiner. Créateurs marseillais et restaurants investissent petit à petit les lieux.
En 2001, la SARI revend les bâtiments qu’elle a fait réhabiliter. Les docks vont alors passer entre les mains de différends fonds d’investissement avant d’être rachetés en décembre 2007 par JPMorgan Asset Management au profit de l’un de ses fonds sous gestion.
Entre temps, le quartier des docks a largement évolué. D’une zone industrielle aux multiples friches et entrepôts, il s’est transformé, grâce à l’opération Euroméditérannée lancée en 1995, en un quartier d’affaire de premier ordre dont les docks incarnent désormais la figure de proue.
2015
Les Docks Village
En 2013, de nouveaux travaux sont exécutés dans le bâtiment sous la houlette du groupe Constructa, en vue de donner naissance à un véritable centre commercial au rez-de-chaussée de l’édifice. Les architectes Gianluca Peluffo et Alfonso Femia, du cabinet 5+1AA, sont choisis pour effectuer les travaux. Afin de répondre aux besoins du commerce, ils repensent complètement les cours intérieures, les entresols et les sous-sols. 15 000 m2 de surfaces commerciales sont ainsi aménagées, permettant la création de 65 cellules de ventes. De nombreuses entrées latérales sont réalisées. Elles donnent notamment accès aux quatre cours qui ont fait l’objet d’une décoration particulière. La première d’entre elle, « la place du port », laisse la part belle aux terrasses de restaurants et de cafés. Elle est entièrement tapissée d’éclats de céramique bleue rappelant la mer.
Vient ensuite la seconde place, dite « Grand’place », ornée de panneaux de céramique verts, puis « la place des palmiers » où trônent huit grands arbres et enfin « la place du marché » et ses grandes suspensions. Venant compléter ce décor, un peu partout dans l’édifice, les architectes ont placé des geckos et des libellules en métal, symboles de chance, de réussite et de renouveau. Les façades extérieures ont également fait l’objet d’un nouveau traitement, à commencer par la façade Nord qui a été habillée d’un mur métallique où figurent les noms et les extraits de textes de 42 auteurs ayant évoqué Marseille, tels Cicéron, Camus ou Giono.
Cette dernière phase de travaux, alliant la réhabilitation du bâti historique à la création d’espace à l’architecture contemporaine, est couronnée de succès. Pas moins de 3 prestigieuses distinctions internationales ont été décernées aux docks : un Mipim Award, un Leading European Architects Forum Awards (LEAF) et un Global Award for Excellence de l’Urban Land Institute (ULI).
Inauguré en décembre 2015, le centre des Docks Village a donné une nouvelle impulsion au bâtiment. Le centre d’affaire est devenu un centre de vie où plus de 3000 personnes travaillent quotidiennement, au sein des 220 entreprises privées et publiques qui y ont leurs bureaux mais également dans les boutiques et les restaurants.
Rachetés en octobre 2017 par Amundi Immobilier, en collaboration avec le Crédit Agricole Alpes Provence, les docks entrent dans une nouvelle ère : tout en restant ouvert sur l’extérieur, tout y est fait pour créer du lien entre les occupants du bâtiment, et leur proposer tous les services dont ils pourraient avoir besoin, un peu à l’image du concept de la Cité Radieuse pensée par le Corbusier.